samedi 1 septembre 2007

Où ça?

J’y pense, le voyage vers Rome, ma nuit de sommeil, ma tournée en scooter et mon magasinage, j’avais fait tout ça en 11h32. Il ne me restait donc que 28 minutes pour trouver Helena avant que…


Avant que quoi, hein! Avant que quoi? Douze heures pour trouver une fugitive alors qu’elle peut se trouver partout et nulle part. Et il est où, le chef Rudolf, pour ne pas savoir où j’en suis?


-Gautier!

-Heu… oui Chef Rufdolf…

-Gautier! Vous n’écoutez pas quand je parle! Nous savons tout de vous grâce à cette puce que vous croyiez tique.

-Ah bah ouais…

-Je vous rappelle au passage que l’explosif situé dans votre lobe temporal est temporairement activé jusqu’à ce que vous trouviez Helena. Il vous reste…

-Oui, 28 minutes, je sais, mais où êtes-vous, chef?

-Dans votre tête, imbécile.

-Comment?

-Basta! Vous êtes à Rome, prenez garde aux zouaves et entrez dans les ordres!

-Je pensais plutôt entrer sous les ordres des zouaves…

-Ne me compliquez pas la vie, Gautier.

-Bin justement, vous me faciliteriez la mienne si vous me donniez un passeport suisse.

-Dans votre poche arrière gauche.

-Ah bah ouais…

-Trouver Helena est la première chose à faire, les zouaves attendront votre arrivée.

-Ah! mais s’ils sont déjà au courant de ma venue, ce sera faci…

-Gautier ! Voilà Helena qui s’avance!

-Où ça? Où ça?



Les amis, c'est important!

Pendant ce temps à Pise [Pisa], le Chef Bastien suivait attentivement la visite guidée d’un vignoble.

« La zona di produzione del Chianti D.O.C.G. è costituita da territori delimitati per legge, che … »

- Vous êtes canadien? - lui adressa une voix féminine derrière son dos.
- Oui, comment le savez-vous?
- Vous avez une feuille d’érable sur votre manteau.
- Et puis?

Essayant toujours de comprendre ce que le guide disait, Bastien (Chef) portait que peu d’attention à son interlocutrice lorsque le doux effleurement d’une main sur son épaule lui donna un frisson dans le cou. Avant même de se retourner, une faible brise portait à son nez l’odeur délicieuse de fleurs de vanille mélangé à un soupçon d’oranger. Ses yeux rencontrèrent les siens et Bastien perçu un regard tendre et profond dans lequel il crut bien se noyer.

Reculant un peu, il découvrit le visage souriant de la jeune femme. Elle avait les traits délicats d’un âge parfait. Sa peau ambrée semblait avoir la douceur d’une pèche. Sur son front, ses temples et son cou apparaissaient de fines gouttelettes de sueurs.
Laissant errer son regard un peu plus, Bastien découvrit un être de beauté comme en avait peint jadis Botticelli. Elle ouvrit la bouche, ses lèvres formant un cœur parfait.

- Vous connaissez Guy A. Lepage?
- Non.
- Dommage…! – lui répondit-elle avant de quitter les lieux.

Beaucoup plus tard, Bastien se tenait toujours seul dans la salle et maudissait de ne pas avoir plus d’amis.

À Rome, fais comme les Romains

Décidément, les cadavres commençaient à s’accumuler dans mon entourage. Claude Meilleur, Herr Kolonel et maintenant cet inconnu dont la tête venait de se prendre pour un feu d’artifice.

Je fouillai mon agresseur et ramassai son arme. Un Luger 9mm. Le brouhaha causé par la déflagration ne me permit pas de jeter son corps par-dessus bord. Je fis de mon mieux pour détaler avant l’avènement des premiers badauds.

Une fois dans ma cabine, je fouillai son portefeuille. Il se composa d’un permis de conduire belge au nom d’Adrien Van der Britt et d’un jeu de quatre photos du roi Beaudouin ainsi que d’une de René Coty. Le chargeur du Luger était vide. Je pensai à mon chauffeur de taxi madrilène. Mince, je crois qu’il s’agissait de la même personne.

Au terme d’un voyage sans autre anicroche, je débarquai en Italie. Quelques heures de route m’emmenèrent dans la capitale. Après m’être autorisé une nuit de sommeil dans un grand hôtel de Rome, j’étais fin prêt pour entreprendre ma mission dans la papauté.

Avec un peu de chance, il me restera un peu de temps pour me magasiner des chaussures italiennes et des vêtements griffés.

D’ailleurs, si je fais vite, j’essaierai de me rendre à Milan et de là, une courte escapade à Bergame.

Mais d’abord faire comme les Romains… J’allai me louer un scooter Vespa. C’était bien l’un des rares moyens de transport que je n’avais pas encore pris.

Poum!

Je quittai donc Rudolph, lui serrant la main tandis qu'un expression de dégoût léger passait sur son visage.

Chercher Héléna... Nous avions parcouru le Kazakhstan, la Turquie pour arriver à Madrid, et cela sans que le soleil ne se soit couché une seule fois. Mon sens aigu des probabilités me soufflait qu'elle pouvait être n'importe où. Tandis que le Pape, lui, ne bougeait pas trop de sa planque, moribond comme il était. Optant pour la facilité, je pris le train pour Barcelone puis de là, le bateau pour à peu près Rome.

J'observais la lune se lever sur la Méditerrannée, bercé par les vagues et légèrement écoeuré par une forte odeur de diesel, nonchalamment accoudé sur la rambarde, lorsque je sentis mon bras droit se replier derrière mon dos dans une position fort inconfortable:

- Ayoyedon, cibolle!
- SILENCE!, chuchota mon agresseur au creux de mon oreille, tandis que je sentis la pointe de son revolver se frayer un chemin entre mes omoplates.
- Que me voulez-vous?
- Paul Vergunsten?
- Non, je vous l'ai déjà dit, c'est pas moi.
- Ah, bon, désolé.

Il me lâcha. Je me retournai pour voir un homme au visage d'hippopotame amaigri, chauve et glabre. Rien à voir avec l'autre type, ou alors son chirurgien esthétique avait une imagination fertile et un talent indéniable.

- Qui êtes-vous, et que voulez-vous à ce Vergunsten?
- Eh bien, c'est-à-dire qu...

Puis sa tête explosa.

Dois-je me laver les mains?

Enfin! Toutes ces tribulations trouveraient justification dans la réponse du chef Rudolf. Le moment était d'une importance capitale, et cette salle de bains publique offrait un décorum de circonstance.

- «Dites-moi alors», lui lancai-je avec assurance, tact et paternalisme.

- Si je vous le disais clairement, Gautier, je devrais vous tuer ensuite car un tel secret ne peut être tenu en entier par un seul homme.

- Ma foi, fis-je.

- Votre foi n'y peut rien. Je devrai vous tuer.

- Soit. Mais ne vous sentez pas l'obligation de tout me dévoiler. Juste un peu, question de me mettre l'eau à la bouche.

- Très bien. Helena disparaissant ainsi, c'est tout notre plan savamment élaboré qui tombe à l'eau. Vous devez la retrouver, et nous pourrons ensuite, ensemble, profiter des retombées de sa capture.

- ... capture? Vous parlez d'une mise à prix ma foi! Mais que diable désirez-vous de moi?

Le son de la chasse d'eau s'évanouissait lentement dans la pièce. Un semblant de plénitude zen nous enroba lui et moi. Je me demandais ce que j'allais manger pour souper lorsqu'il me dit, sans perdre une seule once de souffle.

- L'ordre mondial est caduque. Le Pape a réouvert les pouvoirs jadis octroyés aux Zouaves du Vatican. Gautier, vous devez infiltrer le mouvement zouave, et nous ramener la bague papale. Mais d’abord, trouvez Helena!

- Mazette! Et si je refuse?

- L'implant explosif situé dans votre lobe temporal nous rassure dans notre choix.

vendredi 31 août 2007

12 heures avant minuit moins une

Tout en me soulageant, j’entendis une voix me dire (décidément...):

-Gautier!

Et je ratai l’urinoir.

-Gautier! (donc) basta!

-Mais, chef Rudolf, c’est un besoin…

-Vous n’avez nul besoin de m’expliquer.

-Qu’est-il arrivé à chef Bastien?

-Il est allé faire la route des vins de Chianti pour trouver la source de la strophe finale de la vieille chanson toscane inscrite sur les boules chinoises radioactives que votre ex-femme vous a données.

-Comment savez-vous tout ça? Je n’ai pas encore fait mon rapport!

-Cette tique que vous pensiez avoir choppé avant votre départ, et bien c’est une puce.

-Une puce? La vache… au moins, ce ne sont pas des pucerons.

-Nous savons tout de vous, Gautier.

-Tout?

-Tout.

-Tout tout tout?

-Basta! Maintenant, écoutez-moi. Pendant que Herr Sharpy-Forzessel mourrait de vos simagrées, Helena s’est enfuie. La salope a réussi à déjouer les grands danois en poste à sa sortie de la clinique. Vous devez la retrouver d’ici 12 heures.

-Mais qui sont ces grands danois ?

-Panthère, Tigresse, Tania et Enzo.

-Jamais entendu parlé.

-Normal, ils sont nouveaux à l’escouade canine. Maintenant, plus de temps à perdre. Helena est notre seule chance pour trouver ce que nous cherchons.

-Et nous cherchons quoi au juste ?

Auf wiedersehen, herr Kolonel

Je m'approchais du lit. Herr Kolonel dormait mal et il était en sueur. Pas besoin d'être médecin pour voir qu'il n'en avait pas pour longtemps. Je lui caressais la barbichette, comme il aimait que je le fasse alors que j'étais encore enfant.

Il se réveilla. Son regard en disait long. Il était heureux de ne pas mourir seul comme un chien. Je lui parlais de cette enfance heureuse et de ses moments merveilleux où il m'enseignait la vie du cirque. Après un certain moment, soit environ une heure et quart, je compris enfin pourquoi il se pointait les oreilles : il était devenu complètement sourd et muet, le pauvre.

J'étais au comble du désespoir, nous étions là, côte à côte pour une dernière fois et nous ne pouvions pas communiquer…

Mais il me vint une idée : avec toute ma créativité je me mis à mimer cette folle jeunesse, les mauvais tours que nous avions joué aux éléphants, mes premières chûtes de funambule, nos premiers baisés maladroits, et je mimais, je mimais, j'étais emporté par la fièvre du mime. Il suivait chacun de mes mouvements, visiblement ému, pendant trois longues heures, mais, à la fin, il semblait fatigué. Il était vert pâle, glauque.

Je mis une main sur son coeur et l'autre sur sa main gauche, une main crispée, dure comme le bois, presque végétale. Son coeur était erratique et enfin cessa. Qu'est-ce que j'avais envie de pisser!

Erreur sur la barbichette

Ah, quel con, ce 18. Ça à le droit de tuer, mais ça ne sait pas lire les fiches. Ce n'était pas mon père, qui se mourrait. Mais plutôt mon père spirituel, Herr Sharpy-Forzessel. Celui qui m'avait tout appris. Celui qui m'avait pris sous son aile. Cet homme que j'aurais voulu appeler papa. Papa. Papa. Un jour j'aurais moi-même des dizaines d'enfants; ils m'appelleront simplement papa. Papa. Dans la cour, à danser autour du barbecue, à faire la farandole. Qu'est-ce que c'est beau, un enfant!

18 se réveillait, l'oeil salement amoché. Je déteste quand ces abrutis lisent mal leurs dossiers! Enfin. Il en avait pour son compte. J'avais grimpé les marches jusqu'au 23e étage en imaginant la pire des catastrophes : ce père retrouvé depuis peu que je perdais à nouveau. Je crois même que je pleurais entre le 15e et le 21e. Rendu en haut, 18 était déjà là. Ce gredin avait pris l'ascenseur. Totalement déloyal.

Arrivé dans la pièce, ce n'était pas la bonne barbichette; Herr Kolonel dormait, le visage déformé. Je me retournais vers 18.

- Ce n'est pas mon père, idiot.

- Ah, pourtant, sur la fiche qu'on m'a remise, il est bien écrit que c'est votre père..

- Montrez-moi cette fiche, tonnais-je, suprême et impérial.

Il fouilla dans son sac et sortit la fiche. Vous voyez, fis-je, c'est écrit père spirituel, noir sur blanc, en toutes lettres. Je lui balançais mon poing dans l'oeil. Mais qu'est-ce qu'ils leur enseignent à l'école d'espionnage?

Moi j'aime l'amour qui fait boum!

Cette Citroën nous suivait vraiment à la trace. Par courtoisie, j'offris au conducteur derrière nous une clope, en présentant dans le rétroviseur mon paquet de MarkTen importé à grands frais. Fier de la force de l'Euro, le conducteur herbivore du bolide marron snoba mon offre, et s'alluma dans mon dos une Papelillo Grande Deluxe.

Naïf homme! Alors qu'il baissa sa garde une nanoseconde, le temps d'appuyer sur son allume-papelillo, j'extirpai de mon sac une boule Claude Meilleur et la balançai hors de mon habitacle. La Citroën ne fit ni une ni deux, mais bien trois têtes à queue successifs et, par la force des choses, s'inscrusta énergiquement dans la marquise d'un théâtre de quartier affichant complet pour la dernière trilogie en un acte de 26 heures de Robert Lepage.

La mondialisation culturelle a de ses avantages qu'on ne saurait dénigrer.

Le 7, Plaza Cortes. Nous y voilà enfin. J'offrai à mon chauffeur une photo de René Coti comme pourboire, et m'extirpai du taxi plus rapidement qu'un jeune homme regrettant hélas! une éjaculation fortuite.

Ah! Le Westin Palace. N'eut été de l'explosion du taxi derrière moi, j'aurais pu apprécier le moment.

- Ainsi, vous connaisez la chanson, Monsieur Доминиканской?

- Appelez-moi Gautier je vous prie. À qui ai-je l'honneur?

- Cette comédie a assez duré. Vous n'avez qu'à m'appeler «18». Suivez-moi, votre chambre vous attend. Vous serez surpris de ce que vous y trouverez.

- Vous seriez surpris!

- Ce serait surprenant, Monsieur Gautier! Faites vite, votre père est mourant.

7, Plaza Cortes

C’était trop facile. Avais-je rêvé? Une vieille chanson toscane entendue à Istanbul? Pourquoi alors avais-je senti cette menace? L’empoisonnement à la vanille. L’attentat de Montréal. Quelque chose ne collait pas dans l’histoire. J’arrêtais le serveur.

- Dos cafés por favor.
- ¿ E bizcote?
- Sí, e bizcote.
- Bien Señor.

Lorsque que le serveur réapparu, j’engloutis ma part, payais la note et laissait Alfonzo derrière moi. Où aller maintenant? Je ne me sentais pas encore près à retrouver le Kolonel.

J’errais dans les rues, essayant d’établir un fil conducteur aux événements des derniers jours. Je me savais, pas tout à fait remis de mon entretien avec les pontes du service. Qu’avais-je pu dévoiler dans mon délire? J’étais persuadé que le coup fumant prochain avec mon ancien mentor devait être au centre de la discussion. J’étais désormais en service commandé et j’allais jouer ma première (ou seconde) carrière sur un coup fumant valant une fortune. Étant en mission, est-ce que je devrais payer l’impôt sur le plein montant?

J’étais vraiment un paumé et j’avais beaucoup de boulot devant moi. Premièrement, reprendre contact avec Herr Sharpy-Forzessel au Westin Palace où le service m’avait réservé une chambre. (Pour être chic, ils étaient chics les chefs du service.) Ça, c’était le souhait de mes chefs. M’établir à Belgame le mien. Je sifflais un taxi.

- Séte Plaza Cortes por favor.
- Sí Señor.
Tous ces questionnements voilèrent mon attention et fit que je m’aperçu, trop tard, que j’étais suivi par une Citroën marron.

jeudi 30 août 2007

Canción del la muerte o la libertad

Je me levais et me dirigeais vers Alfonso. Au début, il ne me reconnaissait pas du tout, mais cela changea rapidement lorsque je lui rappelais ma (courte) liaison avec sa soeur, Rositta.

- Ah, hermano, ça fait longtemps! On parlait de toi l'autre jour, il y a quatre ou cinq ans. Toujours dans la plomberie?

- Plus ou moins.

Je repensais à la fin pathétique de Claude Meilleur… et je repris:

- Je me souviens que tu étais versé dans les langues. Une sorte de don. Un copain à moi, hum, m'a remis une énigme à résoudre et je ne pige pas. Tu sais, moi, les langues, à l'exception du français, de l'espagnol, de l'anglais, du russe et d'un peu de mandarin…

- Vas-y mon ami, je vais voir ce que je peux faire.

- Nioc sidba tec, verdim porque miaow.

- Heu, est-ce que tu peux l'écrire, tu sais, l'accent…

Je m'exécutais sur une petite napkin.

- Ourf, hum, na-ta, da-da, hin-hin, marmonna l'anarchiste.

Il reprit :

- Ça veut dire, heu… Le sol sous tes pieds, heu… ah! Oui, j'y suis : Le sol sous tes pieds, la tête dans tes souliers! Ça y est! C'est la strophe finale d'une vieille chanson toscane. Je suis sûr que tu la connais, tout le monde chantait ça ici en 36, enfin, pour les républicains. C'est la Canción del la muerte o la libertad…

Boules chinoises

Le serveur pris ma commande. J'observais ces habitués qui lisaient le journal, ce drôle d'éclairage, les murs en lambris de bois vernis. Je reconnus un gars avec qui j'avais passé des journées à boire café sur café. Un drôle de mec, cet Alfonso. Il vendait des cigarettes et regardait le monde passer. Un anarchiste pur et dur. J'avais déjà vécut à ce rythme lent, à bas régime, sauf quand nous parlions politique.

Je vidais mes poches sur la table.

Mon passeport canadien. Mon passeport espagnol. Mon passeport ougandais. Mon passeport d'expo 67. Les clés de ma Volvo. Les clés du chalet. Un paquet d'allumettes vide. Mon canif. Le portefeuille de Claude Meilleur. Les boules chinoises.

Il faudrait bien que je m'achète un sac, mes poches commencent à se déformer. Et un contenant pour ses boules maudites. Je n'avais pas besoin de choper le cancer à ce moment-ci de l'année.

J'observais une des boules. Semblables à n'importe quelle boule. Une boule c'est une boule. Pourtant, je pouvais voir une très fine inscription de gravée dans le métal : NIOC SIDBA TEC.

Stupéfait, je m'empressais de constater qu'il était gravé VERDIM PORQUE MIAOW sur l'autre boule. Mazette !

Tourisme nostalgique

L’escalier C et son immeuble donnait sur la Gran Via, non loin de la place de l’Espagne et ses deux tours construites sous Franco. Dominicanskoi, Dom pour les intimes, revint sur ses pas et descendit vers l’ancien quartier juif juste au sud de la Plaza Mayor.

Il y a si longtemps qu’il avait parcouru sa ville qu’il ne résista pas et alla à la Puerta del sol. De Gran Via, il emprunta la calle de Preciados et aboutit au kilomètre zéro de toutes les routes d’Espagne tout juste devant l’ancien édifice des postes de Madrid.

Durant la guerre civile, plusieurs communistes furent exécutés ici même par ces salauds de franquistes. Une plaque en faisait mention. Après une pensée pour les morts républicains, battus par tous les fascistes de la terre dans les années 30, Dominicanskoi reprit la route vers l’ouest sur la calle Mayor. Il bifurqua vers la plaza Mayor, centre névralgique de la ville médiévale, pour aboutir sur la calle de Toledo où il croisa, finalement, sa rue natale.



La calle Lechuga avait bien peu changé depuis son départ. Le trottoir étroit était désormais en partie bloqué par les voitures téméraires qui s’y étaient garées. Le balcon du 25, calle Lechuga était toujours bordé de pots de fleurs comme toutes les maisons du quartier.

Il faisait chaud. On était bien. Gautier poursuivit son chemin déterminé à aller manger au Café Gijón, sur le paseo de Recoletos, en mémoire du bon vieux temps.

Intermède à Madrid

Caroline entendit mon exclamation, leva les yeux vers la grille. Je tentai une diversion :

- Porque miaow.
- Dominicanskoi Gauthier, prends-moi pas pour une épaisse, dit-elle en finissant d'avaler son petit gâteau. Les chats n'oublient jamais leur canif. D'ailleurs t'aurais pas vu le mien, de chat?
- Il est aux toilettes.
- Hein?
- Ben en fait il était derrière la grille de ventilation mais comme je voulais passer j'ai dû l'enlever.
- Pourquoi tu voulais aller là?
- C'était écrit « sortie ».
- T'aurais pu passer par le fenêtre, ça donne direct sur le balcon, et y a un escalier qui ...
- Oui bon d'accord, tu m'aides à sortir?

Elle comprit que ma mission ne m'autorisait pas, aussi émouvantes nos retrouvailles fussent-elles, à m'éterniser en explications, en paroles compatissantes devant sa maladie, ou en ingestion de petits gâteaux. D'une main je pris la sienne, de l'autre ses boules (les radioactives), et promis de revenir bientôt. Après lui avoir affectueusement remis sa perruque, je passai par la salle de bain pour y récupérer mon canif, et sortis par la fenêtre.

Je profitai de ce bel après-midi madrilène pour réfléchir en marchant. Bastien m'avait envoyé rejoindre Herr Sharpy-Forzessel et Helena là où en fait j'avais retrouvé Caroline, qui m'avait refilé des boules chinoises offertes par ce mystérieux Claude Meilleur, boules dont la radioactivité, faible si j'en crois le compteur Geiger de mon canif, devait m'aider dans ma mission.

Par nostalgie ou par intuition, je décidai de partir à la recherche de la maison de mon enfance.

mercredi 29 août 2007

Vivement l'air frais

Pour un moment, j’avais bien cru revoir Caroline. Sœur Caroline de Dolbeau, Caroline ma cousine, Caroline de Monaco. Non, non, Stéphanie de Monaco. Une fois encore, ma réalité faisait naufrage. Maudit soit la drogue que le Kolonel (ou Helena) m’avait administrée.

Une fois que j’eu dégluti dans un bol bien frais, je pris la décision de ne pas retourner au bureau de mon ex-femme.

J’enjambais deux par quatre font huit les marches de l’escalier qui mène au toit, quand j’entendis à nouveau une voie étrange: « …Nioc sidba tec, verdim porque miaow »
Je m’arrêtais d’un coup sec qui m’envoya le nez frapper le plancher de tuiles d’amiantes gris perle du dernier palier. Lentement, je portais mon oreille vers la grille d’aération au-dessus de l’écriteau « SORTIE ».
« … porque miaow»

Lentement, je défie quatre vis à l’aide de mon couteau BUCK et retirais un chat.

- « Miaow ». D’où sortait ce chat là? Je devais savoir

La poignée de porte en guise d’escabeau, je m’engouffrais dans le passage et guidait mon déplacement à la lueur de ma montre Swatch.

Après un moment, je fus pris. Pas de panique, mais assez pris pour songer à fermer les yeux et m’endormir. La nuit porte conseil.

Mais Morphée n’était pas au rendez-vous. L’air frais qui me fouettait le visage m’encourageait à poursuivre mon trajet. Au moins, je ne respirais pas le retour d’air des toilettes de l’étage.

Au troisième virage, j’aboutis à une nouvelle grille. « Zut! Mon canif!»

Erreur fatale

Réberbatif, je prenais les boules chinoises dans mes mains. Elles étaient lourdes et semblaient improbablement denses.

- Ces boules vont me faire mourir, Gauthier… je… j'ai un vilain cancer d'un type particulier. Ces boules sont radioactives…

Je lâchais les boules sur le plancher; elles pénétrèrent le bois d'un bon centimètre.

- Comment, bafouillais-je, Caroline, le cancer, c'est… c'est trop horrible!

Elle retira sa perruque. Elle était chauve. J'étais choqué, déçu, frustré, brisé. Ses belles boucles que j'aimais. Emportées par cette maladie.

- C'est un cancer incurable et totalement nouveau. Les radiations inversent le phénomène de dégénérescence des cellules et les font plutôt s'agrandir et se surmultiplier. Je vais mourir en explosant comme une tomate trop mure. Ces boules ont été un cheval de Troie. Je croyais jouir quand au fond je me détruisais…

Il n'y avait rien à dire à cela. Cette histoire me dégouttait. Et moi qui venais de me débarrasser de ce Claude Meilleur. Comment avais-je pu être si stupide ?

Je n'en pouvais plus. Où se trouve ta salle de bain ?

- Là-bas, au fond.

Je courais comme un dément vers la toilette pour me vider de ce malaise, pour vomir mon malheur…

Le meilleur dans tout ça

Il va sans dire que cette Caroline-ci n’était ni ma sœur, ni sœur carmélite, ni ma cousine et encore moins ma mère morte, Dieu merci. Cette Caroline, mon ex-femme, faisait toujours ses petits gâteaux dans son bureau, d’où elle ne sortait plus désormais. Oui, c’est que ce que j’appris :

-Mon beau Gautier, je suis si heureuse de ta venue, moi qui ne sors plus jamais d’ici.

(Vous voyez, je vous l’avais dit…)

-Ah bon? Mais pourquoi cela?

-Depuis qu’ils ont changé la porte au bas de l’escalier, j’ai… enfin…

- Oui, je vois, tu ne passes plus.

- Oh si! De côté! Mais c’est surtout que ton départ m’a rendue agoraphobe.

- Je vois.

- Alors, ces petits gâteaux, tu les veux chaud ou tablette?

- Caroline, je te remercie de ton hospitalité, mais je suis venu ici pour autre chose que tes…

- Je sais pourquoi tu es venu, Gautier. Me dit-elle d’un ton que je ne lui reconnaissais pas.

-Voici ce que tu voulais.


Et, se retournant avec difficulté entre le lit et la table, elle sortit d’un tiroir de sa chemise, ces boules chinoises qui me laissèrent pantois.

-Que veux-tu que j’en fasse de ces…

-Gautier, écoute-moi bien.

-Tu sais que j’adore quand tu me coupes la paro...

-J’ai dit écoute moi!

- Ou..

-Dans ces boules, il y a tout ce dont tu as besoin pour ta mission. C’est Claude Meilleur qui les a fabriquées.


Mium-mium

Caroline était assise dans l'escalier C.

Ce n'était plus la jolie jeune fleur que j'avais cueillie il n'y a pas si longtemps. C'est qu'elle avait épaissi, la Caroline.

Ce visage fin et subtil était devenu un ovale.

Ce corps sculpté était devenu un… blob à replis.

Le regard envoutant était devenu béotien.

J'avais franchement envie de ne pas monter les marches, mais elle tendait ses jambonnesques bras vers moi pour une embrassade que je redoutais.

- Incroyable, mon beau Gauthier, tu es toujours le même, grrr, tu es resté vachement sexy.

C'était la même voix qui sortait de cette bouche qui me faisait chavirer lorsque nous nous étions rencontrés sur une plage de la mer baltique.

- Oh, Caroline, t-t-toi aussi, t-tu n'as pas changée…

- Tu trouves ? Aow, coquin va !

Elle rougissait tellement que je m'imaginais son sang lui sortir des yeux. Ce petit coeur pompait comme un fou, c'était certain, et je ne me souvenais pas de la séquence pour la réanimation cardiaque.

Elle se trémoussait, dans l'escalier C. J'avais peur qu'elle dégringole alors je lui demandais si ont pouvait s'asseoir quelque part, que j'étais fatigué par tout ce transport.

- Où avais-je la tête, mon Gauthier, passons dans mon bureau. Je t'ai préparé plein de petits gâteaux, mium-mium, ils sont tellement bons, on ne peut pas arrêter d'en manger….

Le portier porte à gauche

Encore une fois, une chasse d'eau avait eu le meilleur de moi. Le macchabée qui gisait devant moi n'avait pu terminer sa dernière éructation. J'en blâmais la pression aquatique espagnole certes, mais également la société ainsi que le taux de change ougandais de l'Euro en ce début de siècle difficile pour le commerce altermondialiste.

Tout ceci étant dit, je quittai le quidam, pourboira la dame de belle façon (tous les ingénieurs se promènent avec une AmericanDepress Or, c'est archiconnu) et me dirigeai vers le point de rendez-vous donné par Bastien le-chef-à-la-place-du-chef.

Tout de suite, mes notions d'espagnol extirpées à grands soins par mon éducation à Madrid me revinrent. Enfin pas tout à fait; ces longs mois à jouer du sushi avaient quelque peu altéré mes notions linguistiques et je mélangeais tout.

J'offris donc, à l'agent de constipation de route que je rencontrai : puebla esta tokozami san, por favor Richard Chamberlain?

- Ouais, première porte à gauche au soupirail.

- El Cucurbalidar!

- Ta soeur aussi.

Je passai le soupirail, passai les yeux réprobateurs de la foule locale, et passai un vent. La porte s'ouvrit.

- Quel est l'âge du capitaine?

Ah non. Un code. On ne m'avait pas averti. Je puisai au fond de moi-même, une parade, un leurre, quelque chose. Toutes ces années d'entraînement remontèrent à la surface. Je tentai le tout pour le tout.

- Bleu.

Un sourire apparu sur le regard oblong du maître séant de ces lieux.

- Caroline vous attend. Escalier C.

- Carol...

mardi 28 août 2007

Sous pression

Comme il courait à cloche-pied ça ne m’a pas pris beaucoup de temps pour l’attraper par le collet. Je le traînais vers une toilette publique. La vieille dame des cabinets insistait pour que je paie pour deux. Comme je n’avais pas assez de sous, je dû lui demander de m’en prêter. Il s’exécuta prestement et nous entrâmes dans la petite pièce qui sentait le pot-pourris.

Il me dit qu’il trouvait fatiguant ces toilettes payantes et j’étais bien d’accord avec lui. Il se positionna à genoux devant le bol pour que je puisse lui plonger la tête dans l’eau fraîche. Nous étions des pros, ça allait se dérouler rapidement.

- Vas-tu me dire pour qui tu travailles vraiment et quel est ton véritable nom, lui dis-je lorsque je sortis sa tête de l’eau.
- Je vous l’ai dit, je suis Claude Meilleur et c’est le futur qui m’envoie pour vous…

L’opération était un peu mouillante, mais il y a des moments où il faut respecter les standards et l'étiquette des professions.

Un peu avant qu’il ne se noie, je lui sortais la tête du bol. Il cherchait déjà son souffle; c’était presque terminé.

- Alors, dis, tu vas me dire la vérité, oui ou merde ?
- Je m’excuse, dit-il, haletant. Je suis vraiment Claude Meilleur, mais je suis envoyé par…

Involontairement, j’avais actionné la chasse d’eau. En Europe, la pression est souvent foudroyante. Mon poisson semblait noyé.

Génie dans une bouteille

- oui, c'est moi.

- Vous ne me connaissez pas, j'ai pris cet accent espagnol pour me déguiser. Mon nom est Claude Meilleur. Je suis un ingénieur envoyé par le futur pour vous avertir d'un grave danger.

Je sentais effectivement qu'un grand danger m'enveloppait depuis quelque temps déjà. L'homme dont le visage était caché par des lunettes de soudures continua de sa voix suave :

- Une femme dont je dois taire le nom va tenter de vous mettre des bâtons dans les roues à chaque occasion qu'elle aura. Son objectif est simple, elle veut changer le cours de votre vie, par n'importe quel moyen, fut-il absurde ou sans liens. Me comprenez-vous?

Je ne pigeais rien du discours de cet homme, Meilleur. Il était complètement barjot… venu du futur… un ingénieur… Mais qu'est-ce qu'il me voulaient tous, on croirait que la population débile mondiale avait décidé que j'étais un comptoir dédié à leur folie.

Je vins pour lui dire ma façon de penser quand je me rendis compte qu'il était parti en courant à cloche-pied…

Señor Gautier?

Dire que je croyais avoir pris des vacances… je constate que Gouziev n’était pas assez loin. Je vais au moins me faire rembourser mes frais de voyage.


Pourquoi ça m’arrive tout le temps ce genre de truc? Je prends congé et hop! Me voilà plongé dans une mission que je n’avais même pas imaginée et dont les chefs croient que je suis l’initiateur. J’aurais dû faire plombier, tiens, comme mon grand-père le souhaitait encore sur son lit de mort. Il n’avait jamais réussi à réparer ce robinet.


Encore chanceux avec cette histoire. Ça ne battra pas la fois où j’avais dû m’infiltrer dans les hautes sphères de la gastronomie japonaise après que chef George m’eut confondu avec un dealer de riz. Ces 19 mois à passer pour un maître sushi-man avaient été des plus délicats. Si au moins je n’avais pas été allergique au poisson...


En réalité, la présente mission n’est pas ce que j’appellerais jouer à l’agent-double, puisque Madrid est ma ville natale et que Herr Sharpy-Forzessel est mon ex-beau-père. Mais qui s’en soucis? Le fait demeure : je me sens trahi et traître à la fois. Je devrais fonder une agence-double un de ces quatre.

-Señor Gautier?

Les chefs opinent et l'agent double

Chef Bastien allait ouvrir la bouche lorsque la sonnerie de son portable sonna. Il décrocha, l’air contrarié, me faisant signe d’attendre. J’eus droit à la version tronquée de la conversation.

– Bastien à l’écoute! Oh, c’est vous chef! Comment allez-vous?
– Ce que vous me dites est plein de bon sens, j’y veillerai chef!
– Quant à vous, chef, je vous demande de lancer l’enquête dans cette direction. Dites au reste de l’escouade que c’est moi-même, votre chef, qui l’exige. Que dis-je, qui l’ordonne!
– Ce sera tout, chef.

– Je vois que c’est le chef, remarquais-je.

– Oui, c’est lui, me répondit le chef Bastien. Mais ce n’est plus lui le chef, c’est moi. Vous m’avez bien compris?

– C’est limpide comme de l’eau de roche, chef. La procédure de succession habituelle est en cours comme je peux voir.

Au fil des ans, l’escouade était devenue un véritable repaire d’anciens chefs. Chacun conservant sa prérogative d’être appelé chef, cela pouvait devenir confus (et lassant).

– L’opération d’infiltration que vous avez lancée de votre propre chef est une réussite, inspecteur Gautier, me lança le chef Bastien. Herr Sharpy-Forzessel ne se doute de rien. Il vous conduit à Madrid tout simplement… vous pourrez cueillir toute cette racaille comme un fruit mûr. C’est presque trop facile.

J’aurais aimé protester, mais mon supérieur continua :

– Ils sont dans l’immeuble voisin. Ils vous croient plus empoisonnés qu’eux. Vous irez les rejoindre en Espagne.

lundi 27 août 2007

Bastien-bastien

Ce nom n'évoquait rien pour moi. Bastien, Bastien, je connais bien cent Sébastien mais aucun Bastien, me dis-je. J'essayais de me répéter Bastien, Bastien, je connais bien cent Sébastien mais aucun Bastien dans ma tête, mais je me rendis compte que je l'avais dit tout haut.

Le petit bonhomme me regardait, pas le moins du monde surpris. Il répéta :

- Bastien, Bastien, je connais bien cent Sébastien mais aucun Bastien. C'est bien, il faut que je m'en souvienne.

On rigolait bien, assis sur mon lit, un peu comme des enfants d'école qui se racontent des blagues d'alligators.

Après avoir gloussés en disant des Bastien-bastien, Bastien m'a regardé de côté, l'air de vouloir dire quelque chose de sérieux, ce qu'il finalement fit :

- Je suis le nouveau Chef, c'est moi qui remplace Chef, mais appelez-moi Chef Bastien si vous voulez.

- D'accord, Chef Bastien, fis-je, avec un bon mal de joues.

Ce Bastien semblait être une sorte de Tintin sans houppettes avec l'air de quand il est saoul, les pommettes rouges en moins. Déjà, petit, ce dessin me faisait me marrer… Encore mieux quand Milou aussi était paf. J'étais hilare et prêt à travailler.

Chaise musicale

Sitôt sorti, un autre individu pénétra dans la pièce.

Il était petit et maigre, mais son visage, juché sur un tronc sans cou, était rond comme une bille. Pas de cheveux. Les sourcils blonds. Un petit, minuscule nez de bébé. Des yeux doux et humides.

Il me regardait en me souriant. Il s'assit sur un tabouret.

Il plissait du nez, c'était plutôt comique. Il approcha son tabouret jusqu'à ce qu'il soit très près de moi. On se regardait. Il avait l'air gentil, ce petit mec étrange. Il s'approcha davantage de mon visage, inclinait un peu la tête comme pour vérifier la correspondance de mon visage dans plusieurs perspectives. Ça sembla le satisfaire.

Il recula un peu son tabouret. Il se leva.

Il alla vers la porte et s'arrêta avant de franchir le cadre. Il fit volte-face et s'avança vers moi. Je le vis s'asseoir à côté de moi sur mon lit.

Il avait l'air plutôt content de lui tout en regardant dans le vide, droit devant lui. Il souriait de plus en plus sans jamais que ça ait l'air forcé.

Il se tourna vers moi, plaça une petite main se voulant rassurante sur ma cuisse et me dit : « je prends le relais, appelez-moi Bastien ».

Sagesse Robervaldienne

L'inspecteur me parlait, mais j'étais encore un peu dans les vapes.

Il me posait des questions auxquelles j'avais l'impression de répondre, mais j'essayais surtout de me souvenir, dans un repli de ma mémoire, de ce fameux tatou de la SQ…

Je ressentais vaguement le chatouillis agréable de l'aiguille, sa morsure qui semblait grignoter cet espace intime, près géographiquement du second stade des psychanalystes honnis de mon père.

Un vieux dicton très sage lu dans un cabinet d'aisance de Roberval me revenait à l'esprit. Celui qui se couche avec le cul qui pique se réveille avec les doigts qui puent. Ou quelque chose comme ça. C'est une belle vérité, ça.

J'émergeais enfin de ma lune personnelle, je retournais au monde conscient. L'inspecteur me serrait les mains (qui puent?), me remerciait vivement d'une si étroite collaboration, et quitta la pièce hâtivement.

Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'avais pu lui dire…

Entre inspecteurs, on peut tout se dire

Je ne sais combien de temps plus tard, je me réveillai, couché sur un lit de fortune, quand un homme entra dans la pièce.


-Inspecteur, je suis inspecteur.

-Comment savez-vous que je suis inspecteur?

-J’ai inspecté.

-Vous m’en direz tant, mais encore?

-Vous êtes inspecteur à Montréal, votre nom est Доминиканской Gautier et vous avez 46 ans.

-Mon nom et mon âge sont écrits sur mon passeport, comment avez-vous appris que j’étais inspecteur à Montréal ?

-Vous avez un CH tatoué sur le cœur et un SQ dans le cul.

-Qui vous a permis de me dénuder?

-Nous avons dû le faire à la suite de votre impressionnante restitution de malhabi.

-Le premier ou le deuxième?

-Il y en avait partout, je ne peux pas vous dire.

-La vache, il était si bon.

-Inspecteur Gautier, j’ai quelques questions à vous poser au sujet de Caroline.

-Caroline?

-Nous avons plusieurs raisons de croire que c’est votre sœur.

-Vous faites fausse route, elle est sœur carmélite, elle fabrique des hosties à Dolbeau.

-FOUTAISE!

-Sœur ou cousine, qu’est-ce que ça peut faire?

-Ça fait toute la différence lors qu’un attentat est perpétré à Montréal, que votre supérieur appelle Interpol pour vous trouver et que vous vous trouvez vous-même empoisonné de vanille sur le plancher d’un restaurant d’Istanbul.

-Puis-je connaître le lien que vous faites entre ces événements?

-Je n’en fais aucun, vous parlez en dormant.

-Qu’est-ce que vous dites?

-Je n’en fais aucun, vous parlez en dormant.


La nuit, suis-je immobile ou me meurs-je?

Nous nous délectâmes d'un second dessert nappé d'alcool et de havanes, gracieuseté d'Helena qui en avait frauduleusement importé dans son corset assez séduisant pour lui, mais conçu pour elle.

Le malhabi, petit dessert fait à base de riz et de sucre vanillé, nous fondait dans la bouche comme une jeune fille au printemps. Nous nous amusâmes à faire des calembours avec les prénoms de sultans ottomans - je déridai sévèrement ma tablée en utilisant «Abdulhamid» à toutes les sauces - lorsque nous fûmes dérangés par les bruits de corps du Gros homme.

Celui-ci s'affaissa au sol, en proie à de virulentes attaques cardiaques. Pourtant, mes calembours ne pouvaient être SI mauvais. Quel rabat-joie! J'en étais à me questionner si son manque flagrant d'érudition l'empêchait de jouir de mes mots de bouche lorsque Harpy-Forzessel y alla d'un énoncé fort peu réconfortant.

- Mein Tovarich! Nousse zafon été empoizonésse. Je sensse mon sang qui koagule dans mon zyztèm.

- Meuh non, herr Kolonel. Vous confondez empoisonnement alimentaire et digestion latente.

- Arkhh.

Sur ce «arkhh», le Kolonel et Helena tombèrent au sol, donnant ainsi raison à Newton qui, on s'en rappelle, exprima le premier l'attraction des corps vers le sol, et inventa d'un même souffle l'assurance personnelle.

J'entendais un rire gras, à travers une barbe qui n'était pas encore poussée. Je me fis toutefois un devoir de plier bagage et de m'effondrer à mon tour, étourdi par ce rictus glabre. Et dire que mes papiers ne sont pas pas en ordre...

dimanche 26 août 2007

Nioc sidba tec, verdim porque miaow

Après avoir traversé le restaurant, on nous assied à une vaste table dans une salle privée.

Un gros homme en complet brun pâle, notre serveur, nous fit la description en long et en large du menu dans un français académique et légèrement teinté d’un accent persan velouté.

- Et pour le dessert, vous ne pouvez pas partir sans avoir goûté nos fameux «famerlouiks confits».

Le repas s’était déroulé très lentement. Chaque plats étaient un délice, les saveur subtiles, le mariage des ingrédients relevant de la magie pure et blanche.

Le gros homme passa de plus en plus de temps avec nous. Il avait travaillé un peu partout sur le globe, toujours dans les plus grands restaurants. Il était politiquement éclairé et s’avérait être un magnifique conteur.

Rendus au dessert, je quittais ma place pour me diriger à la salle de bain. La place était déserte ; nous étions seuls avec le gros homme et les autres employés dans le restaurant.

Devant l’urinoir, je baissais ma braguette au même moment que quelqu’un, je ne voyais pas d’où, me chuchotait quelque chose. Le bruit de la fermeture éclair ayant masqué les mots; je demandais discrètement de me répéter ce qu’on venait de me dire. La voix, qui semblait s’échapper de l’urinoir répéta : «Nioc sidba tec, verdim porque miaow.»

J’enregistrais ce qui me semblait être une mise en garde et me rendais à ma place où le gros homme, Sharpy-Forzessel et Helena fumaient des Havanes…

Istanbul sans lithium

Le brouillard de mes pensées s’estompe lentement. Le wagon-restaurant, la pulpeuse brunette et le buffet à volonté où j’avais été convié n’étaient plus qu’un lointain souvenir. Devant moi ne se trouve que le brave, mais tonitruant Sharpy-Forzessel, kolonel de son état et de réputation. J’étais à l’intérieur d’une toilette (turque, il va sans dire) d’Istanbul.

Je ne saurais dire combien de temps, j’ai erré dans ces lieux. Il y a si longtemps que je n’ai vu un professionnel de la santé que mes réserves de pilules sont épuisées. Cette nourriture de train est également en train de saper mon moral. Je crois bien que je suis fiévreux. Il faut remédier à la situation. Mais que mange-t-on à Istanbul?

Pendant que nous déambulions dans les venelles de cette ville carrefour, située entre deux continents et combien de cultures, je ne pouvais m’empêcher de penser à Caroline, cette lointaine cousine. Devrais-je m’arrêter dans la principauté si le train y passe? Allons-nous nous rendre à Madrid un jour? Bref, tant de questions, si peu de temps.

Cette ville me déçoit de plus en plus. Hormis de la restauration rapide américaine, on ne trouve pas beaucoup de cuisine locale!

« Ah tovaritch! Ze grois que z'ai troufé notre reztorangue », dit Sharpy-Forzessel en montrant du doigt un établissement au nom évocateur : « Chez Atatürk. »

À sa porte, deux valets attendaient les convives. Ils nous firent très bon accueil. Nous entrâmes.